L’enfant épileptique
Tous les types de troubles psychiatriques peuvent se retrouver chez l’enfant épileptique sans qu’on puisse véritablement associer un type de troubles à un type d’épilepsie. La multiplicité des nosographies, aussi bien sur le plan neurologique que psychiatrique, ne facilite pas les travaux à ce sujet.
Cependant, un certain nombre de facteurs peuvent être retenus chez l’enfant épileptique :
• l’enfant épileptique a un plus fort taux de troubles psychiatriques que les enfants de la population générale (50% des enfants épileptiques consultent pour un problème psychiatrique) ; parallèlement, 30 % des enfants présentant des handicaps mentaux sévères sont épileptiques ; récemment, on a pu montrer qu’environ 50 % des enfants présentant un syndrome autistique étaient épileptiques ;
• les troubles psychiatriques apparaissent plus fréquemment lors des épilepsies temporales et quand l’épilepsie débute précocement ;
• les troubles psychiatriques ne semblent pas forcément en lien avec la fréquence des crises ;
• certains médicaments entraînent, de par leurs effets secondaires, des troubles psychiatriques.
À noter que la nature et la gravité de ces troubles restent très diverses. Loiseau (1984) précise que 54 % des enfants d’une population épileptique n’ont aucun trouble psychiatrique et, quand ces troubles existent, ils sont sévères dans seulement 9 % des cas (la gravité reste modérée dans 37 % des cas).
Dans 10 % des cas, on note une baisse de l’efficience (un QI inférieur à 80), et dans 15 % des cas, des troubles névrotiques, alors que dans 10 à 30 % des cas, des troubles du comportement apparaissent, et que dans 5 % à 10 % des cas, des psychoses existent.
Certains auteurs associent plus facilement :
• les troubles graves du comportement et de la personnalité aux épilepsiestemporales ;
• les troubles névrotiques et l’immaturité au petit mal ;
• les instabilités et les insuffisances du contrôle au grand mal.
Cependant, cette typologie peut être totalement remise en cause au cas par cas. Par exemple, Misès et al. (1968) ont effectué un véritable démembrement du concept de démence épileptique.
Il faut rappeler que le syndrome de démence est défini par Esquirol (1838) comme un « syndrome psychique caractérisé par l’affaiblissement ou la perte partielle ou totale des facultés intellectuelles, morales ou affectives, sans possibilité de retour ». En tant que tel, il reste finalement très rare chez les enfants épileptiques.
Chez les enfants épileptiques déficitaires qui peuvent évoquer une démence, on retrouve plutôt :
• des formes démentielles vraies, extrêmement rares où un important déficit au centre du tableau est dû à une détérioration progressive et massive des fonctions supérieures du sujet, liée à son épilepsie ;
• des dysharmonies évolutives à expressions déficitaires : les troubles relationnels sont ici au premier plan (de nature psychotique), même s’ils laissent des moments « d’ouverture » et ne permettent pas que se développent de façon équivalente tous les secteurs de l’intelligence de l’enfant.
Dans ces pathologies, l’insuffisance intellectuelle, même si elle apparaît centrale, peut tout à fait évoluer dans le bon sens, notamment lorsqu’on arrive à travailler précocement de façon soutenue autour des difficultés interactionnelles parents-enfant ;
• des psychoses à expression déficitaire : l’évolution de ces dysharmonies, lorsqu’elle est défavorable, peut se faire vers des psychoses à expression déficitaire, c’est-à-dire des pathologies dans lesquelles :
– les difficultés relationnelles envahissent toute la vie du sujet qui s’enferme dans un fonctionnement globalement psychotique ;
– le nivellement des capacités de penser (déficit) apparaît, dès lors, comme un véritable système défensif secondaire contre l’envahissement par les angoisses psychotiques.
À partir de cette constatation, de nombreuses études se sont penchées sur l’association psychose/épilepsie chez l’enfant. En effet, les ruptures de contact provoquées par les crises épileptiques, surtout si celles-ci sont précoces et fréquentes, entraînent une déstructuration transitoire des relations, provoquant parfois une confusion sujet/objet et une indistinction réalité interne (fantasmes) et réalité externe. On peut noter que de très nombreux enfants psychotiques sont épileptiques.
Cependant, la nature des relations primaires de l’enfant à ses parents influence aussi l’éclosion et l’évolution des mécanismes psychotiques vers l’organisation de dysharmonies évolutives ou d’une véritable psychose structurale.
Il est donc très important d’analyser très précisément les facteurs en cause dans les dysfonctionnements interactionnels pour intervenir au bon moment et avec les bons outils thérapeutiques.
Sur un plan épidémiologique, on peut noter que les psychoses graves apparaissent plutôt chez des garçons porteurs d’épilepsie précoce et sévère.
Cependant, il faut bien faire la différence entre :
• des épilepsies qui se révéleraient, en quelque sorte, « psychotisantes » ;
• des psychoses post-épileptiques ;
• des épilepsies secondaires à des psychoses infantiles.
Dans le premier cas, c’est l’épilepsie elle-même et les ruptures qu’elle provoque dans le lien à la réalité et aux autres, qui progressivement installent des failles dans le fonctionnement psychique du sujet, failles qui limiteront ses capacités inter-relationnelles. Le syndrome de West, marqué par un début précoce et des troubles graves en termes de troubles de la conscience, peut tout à fait entrer dans ce type de pathologie (on sait bien que les enfants porteurs d’un syndrome de West ont 30 %de risques supplémentaires par rapport à la population générale de développer un autisme).
Dans le deuxième cas, il ne s’agirait pas d’un mécanisme d’emblée présent mais plutôt d’une difficulté secondaire d’accès au monde symbolique, du fait des difficultés relationnelles engendrées par l’épilepsie.
Enfin, dans le troisième cas, l’épilepsie pourrait représenter une sorte de symptôme organisé pour garantir contre le risque de psychose.
Ainsi, Crochette (1987) met en évidence trois types de situations d’interactions épilepsie/psychose chez des enfants hospitalisés en hôpital de jour :
• dans certains cas, l’interaction entre le processus psychotique et la maladie épileptique est faible, comme si chacun évoluait de façon pratiquement indépendante ;
• dans d’autres cas, une interaction véritablement négative intervient entre la maladie épileptique et le processus psychotique. L’épilepsie, provoquant des ruptures répétées de la conscience et de la relation au monde, aggrave, dans ces cas, le processus psychotique en attaquant la pensée et tous les liens qu’elle établit, de façon stable et continue entre le monde extérieur et le sujet. Par ailleurs, cette discontinuité somatique aggrave les angoisses de nature psychotique (morcellement corporel) et la sensation d’impuissance, de perte du contrôle de soi, particulièrement forts dans les psychoses infantiles.
L’expérience épileptique semble, alors, potentialiser le vécu persécutif de l’objet externe, en même temps qu’est accentué, dans la relation parents-enfants, le rejet de l’enfant, du fait de sa double atteinte corporelle et psychique (enfant « tout » ou «trop » malade) ;
• enfin, dans certains cas, l’épilepsie, repérée secondairement, reste au contraire un facteur positif dans l’évolution de l’enfant. Ses parents le repèrent comme touché, en premier lieu, par une maladie organique repérable, potentiellement traitable, maladie nommée qui les angoisse moins qu’une maladie mentale. Dans cette situation, l’abord psychiatrique reste mieux accepté car vécu comme un appoint intervenant
secondairement, appoint véritablement intériorisé car situé à distance d’une culpabilité douloureuse.